Connaissez-vous le Pertuis d’Antioche, entre les îles de Ré et de Oléron ? Évoquons simplement le fort Boyard, et soudain des images surgissent. Mais sur le littoral, des constructions de bois, des cabanes sur pilotis au dessus des eaux, étonnent, fascinent et ponctuent le paysage auquel elles sont intimement liées par l’histoire et la tradition : la pêche au carrelet.
« Là, dans la cabane du pêcheur – Moi, j’attends que le monde soit meilleur » Francis Cabrel, in chanson « La Cabane du Pêcheur ».
« La pêche à pied au filet calé sur l’estran »…
… telle est la définition réglementaire* (arrêté ministériel du 02 juillet 1992) de cette technique de pêche qui justifie la présence de ces audacieuses et belles constructions sur le front de mer. Cette pêche est soumise à autorisation par la Direction départementale des affaires maritimes (à La Rochelle, pour la Charente-Maritime). Ces autorisations sont unipersonnelles (une par personne susceptible d’utiliser seule le filet).
Les secteurs micro géographiques autorisés, sont rigoureusement encadrés, ce qui explique la discontinuité de leur implantation sur le rivage. Les interdictions peuvent être sectorielles permanentes ( exemple : interdiction d’implantation à moins de 50 mètres des concessions de cultures marines) ou sectorielles temporelles (exemple : à l’intérieur du fier d’Ars entre le 15 juin et le 15 septembre inclus).
La construction des pontons fait obligatoirement objet d’ une demande d’Autorisation d’Occupation Temporaire (A.O.T.) du domaine public maritime ou fluvial (estuaires de la Gironde et de la Charente) auprès des services gestionnaires de la Direction Départementale de l’Équipement. Toutes les caractéristiques des constructions sont rigoureusement cadrées.
La pêche au carrelet
Carrelet désigne un type de filet, tendu sur une monture plane et carrée, disposé au bout d’une perche ou d’un mât éloignant celui-ci du bord (illustration ci-dessous). Dans le cas du ponton-carrelet, un treuil, ou palan, permet de faciliter le levage horizontal du filet à l’aide d’une poulie et d’un cordage.
Auterie Devaud, fabriquant de filet et engin de pêche indique : « La monture permet de maintenir et d’ouvrir le filet. On met un appât au centre du filet (NDLR : tête de poisson, par exemple). Lorsque le filet est sous l’eau, on le soulève vivement à intervalles réguliers ». Il faut toujours quelques minutes d’attente, pour dissipation du trouble (vase du fond, dans l’eau) causé par la descente du filet.
La taille des filets est souvent de 4m de côté, et la maille utilisée dépend des produits de pêche recherchés. La liste des tailles minimales* (en cm) de poissons, crustacés et coquillages autorisées est fixée par règlement, par exemple : sole 24 cm, flet 25 cm, aloses 30 cm, etc.
« On pratique ce genre de pêche dans des eaux peu profondes de mer. Les eaux troubles sont généralement plus conseillées, mais obligent le pêcheur à relever de temps en temps le filet sans qu’il sache si du poisson s’y trouve. » précise l’association Les Carrelets Charentais.
Un ancien ministre pour sauver les carrelets sur ponton
Si la pratique de la pêche au carrelet depuis des pontons n’est pas très ancienne et date surtout de la fin du 19ème siècle, elle s’est bien développée et ancrée dans la culture locale faisant partie intégrante d’un mode de vie puis d’une tradition. C’est parce que la pratique fut sérieusement menacée de disparition, suite notamment au décret du 11 juillet 1990 ne mentionnant plus les carrelets comme engin de pêche autorisé, que fut constituée L’ADDPMLT (association pour la défense de la pêche maritime de loisirs et de traditions), plus simplement appelée « les Carrelets Charentais » en mai 1991, par un groupe de passionnés.
La reconnaissance des carrelets sur pontons est plus particulièrement une victoire obtenue par Michel CREPEAU, maire de La Rochelle et ancien ministre, lorsqu’il écrivit en novembre 1993 un plaidoyer visant à influer sur le nouveau schéma d’aménagement du littoral charentais : « Je pense que non seulement les carrelets doivent être utilisés mais, plus encore, classés, protégés et entretenus. Je sais que tous les amoureux du littoral charentais ( photographes, peintres, ou simplement esthètes ) me comprendront. ». Grâce à cette action déterminante, les carrelets sur ponton furent en effet inscrits dans le patrimoine charentais (source ADDPMLT).
ponton-carrelet, cabane carrelet : paysage et patrimoine à découvrir
Ce n’est pas par beau temps qu’elles sont magnifiées ! Non, c’est plutôt quand le ciel est gris, quand le ciel et la mer ne font qu’un. Ainsi, elles offrent, avec leur petit air de guingois, l’invraisemblance de leur existence. Perchées sur leurs échasses implantées dans le gris, s’élevant dans le gris, elles marquent seules l’espace de leurs silhouettes, à la manière des ombres chinoises.
Forment vibrantes, à la manière impressionniste de Monet (Les Nymphéas, Reflets d’arbres, vers 1920), ou entrechoquement épuré de lignes à la manière cubiste de Mondrian (La mer, 1912 ou Jetée et Océan, 1915), la vision est toujours changeante, presque improbable, irréelle !
Parfois l’une d’entre-elle s’impose de son bleu de Bretagne, telle une photographie en noir et blanc, colorisée de bleu.
Deux des plus beaux sites pour découvrir les carrelets sur ponton sont :
- La côte au niveau de la sortie routière « Yves », à 5 km au sud-de Châtelaillon-Plage sur l’axe La Rochelle – Rochefort
- Port-des-Barques, sur la rive gauche de l’embouchure de la Charente, près de l’île Madame.
Sinon, depuis Fouras – rive droite de l’embouchure de la Charente – on découvre quelques superbes cabanes à carrelet à l’écart de la côte (illustration ci-dessous), sans ponton, donc accessibles seulement à marée basse par voie piétonne sur la zone d’estran.
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* La réglementation étant susceptible de changements, informations et mises à jour sont à collecter auprès de la Direction départementale des affaires maritimes.